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27

Sep 2017

  • Articles et presse

Téléconsultation médicale, que peut-on apprendre de l’expérience Suisse ?

Article rédigé par Florence Jaquet – Périclès Consulting et Denis Mazouer – Périclès Suisse

La téléconsultation médicale a officiellement démarré en France avec la loi HPST de 2009, et son décret d’application de 2010, qui la définissent comme un des cinq actes de télémédecine. Elle a pour objet de permettre à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient, en posant un diagnostic et en produisant si besoin une ordonnance.

Même si le PLFSS 2018 entend changer la donne, la téléconsultation médicale ne fait pas encore l’objet d’une prise en charge financière par la Sécurité Sociale, sauf dans des conditions de financement d’expérimentations de télémédecine répondant à des cahiers des charges précis. Certains assureurs complémentaires ont néanmoins commencé à l’incorporer à leur offre, en proposant la téléconsultation médicale comme un service à valeur ajoutée. Les assureurs utilisent les services de prestataires externes, ou montent ce service en interne, tel Axa à partir de 2015 via sa filiale Axa Assistance. Certaines offres incluent également la vidéo, la livraison de médicaments ou des dispositifs médicaux de téléconsultation tels que les cabines de télémédecine.

En théorie, les voyants sont au vert pour le développement de la téléconsultation médicale : outre l’évolution réglementaire, les assureurs ont conscience de la nécessité de différencier une offre standardisée en proposant des services digitaux correspondant aux nouvelles attentes des assurés. Mais si l’offre de téléconsultation médicale commence à décoller en France, son utilisation reste toutefois encore très timide parmi les bénéficiaires de ce service.

Notre voisin Helvétique a une longueur d’avance sur la téléconsultation médicale, et est un excellent exemple à étudier. Même si la téléconsultation médicale n’est pas définie comme en France par une réglementation spécifique sur la télémédecine, rien ne l’interdit. Elle fait même partie intégrante du système d’assurance santé, via le modèle TelMed, qui existe depuis la fin des années 90 en Suisse.

Tout d’abord, petit rappel sur le système d’assurance santé en Suisse : fondé par la loi fédérale LaMal de 1994, c’est un système de compétition régulée, qui repose sur une assurance de base et d’éventuelles assurances complémentaires proposées dans les deux cas par des compagnies d’assurance privées. Afin d’optimiser la prise en charge des patients et réduire les coûts, trois modèles d’assurance alternative ont été proposés aux assurés : les Health Maintenance Organizations (HMO), sorte de réseau où l’assuré doit consulter prioritairement, le système de médecin traitant de premier recours qui doit être consulté en premier lieu, et enfin le troisième modèle TelMed, où les assurés consultent un médecin à distance avant de se rendre physiquement chez un médecin. Ce modèle TelMed fait lui-même l’objet de deux principales variantes. La première variante est un modèle volontaire. L‘assuré peut bénéficier d’une téléconsultation médicale, mais n’en a pas l’obligation. De même, la recommandation donnée lors de la téléconsultation médicale n’est pas contraignante, et l’assuré est libre ensuite de consulter ou non le médecin de son choix. TelMed est dans ce cas considéré comme un service à valeur ajoutée proposé à l’assuré. La deuxième variante est un modèle obligatoire. L‘assuré a l’obligation de consulter un médecin à distance, sauf exceptions telles qu’urgence, prévention, examens gynécologiques, traitements dentaires et ophtalmologiques. La recommandation est contraignante, et si le professionnel de télémédecine estime qu’une visite médicale ne s’impose pas, l’assuré n’y aura pas droit. Si l’assuré passe outre la recommandation, l’assurance ne rembourse pas les frais. En échange, des réductions de primes sont offertes à l’assuré. Elles s’élèvent à près de 15% en moyenne par rapport au modèle d’assurance standard, peuvent atteindre 25% et sont majoritairement fonction du caractère obligatoire ou volontaire du modèle Telmed.

Les assureurs utilisent pour le modèle TelMed des prestataires de télémédecine, tels Medgate, Medi24 et Santé24, qui emploient des médecins et autres professionnels médicaux sur leurs plateformes, formés à une méthodologie, et utilisant des logiciels d’aide à la décision médicale.

Le succès commercial est au rendez-vous pour les modèles d’assurance alternatif : selon l’Office Fédéral de la Santé Publique, 64% des assurés adultes de plus de 19 ans choisissent un de ces trois modèles d’assurance alternative en 2015. Et des estimations indiquent que 10% à 15% des assurés seraient inscrits dans le modèle TelMed.

L’efficacité de la téléconsultation médicale pour la maîtrise des coûts a fait l’objet de différentes études. En théorie, la téléconsultation médicale telle que pratiquée en Suisse peut éviter 60% des visites médicales en face-à-face. Mais l’efficacité réelle dépend de l’utilisation du service par les assurés, ainsi que du caractère contraignant de la recommandation de téléconsultation médicale. Le taux d’utilisation par les assurés dépend du niveau de franchise / ticket modérateur, mais aussi du caractère obligatoire ou volontaire du service de téléconsultation médicale. Dans une étude publiée en 2010 sous le titre « Does a mandatory telemedecine call prior to visiting a physician reduce costs or simply attract good risks ? », Grandchamp et Gardiol comparent sur une population de 160 000 assurés Suisses les résultats des modèles volontaire et obligatoire. Dans les modèles TelMed volontaires, le taux d’appel ne dépasse pas 0,5 par bénéficiaire par an, alors que dans les modèles TelMed obligatoires étudiés, ce taux peut grimper jusqu’à 1,5 appel par bénéficiaire par an. Le montant annuel des sinistres santé est quasiment 2 fois moins important dans le modèle obligatoire que dans le modèle volontaire. Les auteurs attribuent uniquement 10% de cette réduction des dépenses à l’efficacité du service de téléconsultation médicale lui-même, tandis que 90% seraient dus à des effets de sélection des bons risques et d’incitation.

L’exemple Suisse est intéressant à plus d’un titre. Mais cette expérience réussie est-elle transposable en France ? Pour répondre à cette question, il convient tout d’abord de prendre en compte les spécificités de la Suisse par rapport à la France.  Le reste à charge patient est plus important en Suisse, ce qui est une incitation supplémentaire pour l’assuré à réduire ses coûts : d’après les statistiques OMS de 2014, le reste à charge patient représente en Suisse plus de 25% de la dépense totale de santé par patient, contre moins de 10% en France. La sélection des bons risques est une spécificité de la Suisse par rapport à la France : contrairement à la France, où la majorité du portefeuille santé est collectif, chaque citoyen / résidant en Suisse a l’obligation de s’assurer individuellement, ce qui peut entraîner des effets individuels de sélection des bons risques dans les offres comportant un modèle de téléconsultation obligatoire. Enfin, en Suisse, la dichotomie entre assurance santé de base et assurance complémentaire est moins forte : l’assurance santé de base et l’assurance santé complémentaire sont gérées par des caisses privées, et environ 80% des assurés ont leurs couvertures de base et complémentaire dans la même caisse. En France, un modèle intégrant de la téléconsultation médicale obligatoire n’est pas envisageable dans un premier temps. Les assureurs privés doivent tout d’abord éduquer le marché à la téléconsultation médicale volontaire, et mettre en place des mécanismes d’incitation, sur le modèle des programmes de prévention, et évaluer le retour économique et médical. De son côté, la Sécurité Sociale, après la phase d’expérimentation de financement de télémédecine, devra intégrer la téléconsultation médicale dans la liste des prestations remboursables par l’Assurance Maladie. Dans un deuxième temps, il conviendra de mener une réflexion sur la place à accorder à la téléconsultation médicale au sein du parcours de soin.

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