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09

Avr 2025

  • Articles et presse

ESG et Asset Management : le modèle à bout de souffle ?

Article écrit par Amine Mechraoui, Manager.

Au cours de la dernière décennie, l’adoption d’approche ESG s’est imposée comme un passage obligé pour les sociétés de gestion d’actifs. Catalysée par une réglementation en forte croissance (SFDR, Taxonomie, CSRD) et une attente sociétale grandissante, la finance durable a connu un essor important. Néanmoins, ce modèle montre aujourd’hui ses limites. Controverses, désalignement avec la clientèle retail, incertitudes économiques et tensions sur les données, une remise en question en profondeur semble désormais essentielle.

 

Risque de controverse et greenwashing : l’effet boomerang

Le greenwashing est devenu l’un des principaux risques de réputation pour les Asset Managers. Bien plus qu’un enjeu de communication, il est devenu un véritable sujet réglementaire et judiciaire, car la pression exercée par les régulateurs (SEC, AMF, ESMA) s’intensifie. L’exemple le plus parlant reste celui de DWS, la filiale de Deutsche Bank, accusée d’avoir menti sur sa politique d’investissement durable. Résultat : plusieurs enquêtes, une amende de 19 millions de dollars infligée par la SEC en 2023 et une amende record de 25 millions d’euros infligée par la justice allemande il y a quelques jours. Le tout, accompagné d’un fort préjudice réputationnel.

Ce cas ouvre la voie à une vigilance accrue sur la véracité des engagements ESG affichés. Or de nombreuses sociétés ont construit leur stratégie ESG sur des scores propriétaires ou des politiques d’exclusion peu lisibles. Par conséquent, lorsqu’un décalage entre discours et pratique est identifié – que ce soit par un régulateur, un lanceur d’alerte ou une ONG – la confiance se brise. Le greenwashing, volontaire ou non, devient alors une bombe à retardement.

 

ESG et clientèle Retail : une incompréhension persistante

Autre point de friction : la distribution de produits ESG auprès des clients retail reste en-deçà des attentes. Ces derniers ont rarement une bonne compréhension de ce que recouvrent les notions d’investissement durable, d’exclusion sectorielle, de stratégie alignée avec la taxonomie verte, ou de classifications (Articles 8 et 9). Ajoutons à cela des distributeurs peu formés. Cette situation entraîne plusieurs conséquences fâcheuses : les préférences extra-financières des particuliers restent très limitées, un risque de déception quant à la performance financière ou à l’impact réel des produits ESG, et un effet contre-productif en termes d’image, remettant en cause la crédibilité même des fonds durables aux yeux du grand public.

 

Des investissements massifs pour un ROI incertain

Le développement des dispositifs ESG s’est accompagné, ces dernières années, d’investissements considérables de la part des Asset Managers :

  • Création d’équipes ESG dédiées (analystes,  responsables de l’engagement),
  • Signature de contrats avec de nouveaux fournisseurs de données,
  • Intégration des critères ESG dans les modèles de gestion,
  • Déploiement de solutions IT (plateformes de scoring, outils de reporting, outils de gestion des controverses),
  • Mise en conformité réglementaire (SFDR, taxonomie, CSRD, devoir de vigilance…).

 

Mais après plusieurs années d’investissement, la question du retour sur investissement se pose. La rentabilité des fonds ESG n’a pas toujours été au rendez-vous, et leur collecte ralentit. Certaines stratégies Article 8 ou 9 voient leurs encours reculer face à des produits traditionnels plus lisibles et parfois plus performants.

De plus, les sociétés de gestion rencontrent beaucoup de difficultés à différencier leurs offres ESG sur un marché de plus en plus homogène. En effet, la plupart des acteurs ont adopté des approches similaires, ce qui rend compliquée la création d’un avantage concurrentiel clair et l’affirmation d’une proposition de valeur distincte.

Dans ce contexte, certaines sociétés de gestion ont d’ores et déjà commencé à recentrer leurs dispositifs en cherchant un équilibre entre impact réel, conformité et rentabilité.

 

Tensions sur les données : vers un modèle de data Management à repenser

La donnée extra-financière est au cœur du modèle ESG. Or, elle souffre aujourd’hui de multiples fragilités, qui pèsent lourdement sur le modèle opérationnel des sociétés de gestion.

Concentration du marché et risque de dépendance

Avec le retrait de Moody’s sur le marché des notations ESG, MSCI se retrouve en position de quasi-monopole, alimentant des craintes sur la qualité, le coût et l’indépendance de ses données. Ce risque soulève la question de la résilience des modèles d’acquisition des données ESG construits autour d’un nombre restreint de fournisseurs.

Cette dépendance est accentuée par la loi Omnibus et la très probable restriction du champ d’application de la CSRD et de la taxonomie verte (notamment pour les entreprises non européennes ou de plus petite taille). Cette évolution réglementaire aura certainement pour effet la limitation de disponibilité de données publiques standardisées. Dans ce contexte, les Asset Managers demeurent fortement dépendants de fournisseurs privés pour agréger, compléter et interpréter les données extra-financières.

Surconsommation et mauvaise gouvernance des données

Par ailleurs, de nombreux Asset Managers ont multiplié les achats de données extra-financières, souvent sans une réelle gouvernance. Certains acteurs sont allés jusqu’à acheter plus de 1000 points de données ESG auprès de différents fournisseurs, dans une logique d’exhaustivité peu maitrisée. Résultat : des bases de données coûteuses, redondantes, difficilement exploitables, et souvent sous-utilisées.

 

Engagement actionnarial : un levier encore trop symbolique ?

Un des principes fondamentaux de l’ESG, l’engagement actionnarial (dialogue avec les entreprises, résolutions en assemblée générale, vote actif) est souvent affiché comme un outil d’influence directe sur les pratiques des émetteurs. Conceptuellement, il s’agit d’un moyen puissant permettant aux investisseurs d’orienter les décisions stratégiques des entreprises vers une trajectoire plus responsable.

Mais en pratique, l’efficacité réelle de cet engagement reste difficile à quantifier. Peu d’Asset Managers publient des KPI clairs sur le suivi et les résultats de leurs démarches d’engagement :

  • Combien d’entreprises ont modifié une politique ESG suite à un dialogue actionnarial avec la société de gestion ?
  • Quelle est la part des résolutions déposées par les investisseurs responsables qui ont été adoptées ?

 

Des études, montrent que les sociétés de gestion les plus engagées sont encore minoritaires. Par ailleurs, la majorité des votes ESG restent conservateurs, avec peu d’opposition sur les résolutions climatiques ou sociales contestées.

Enfin, quand bien même le nombre d’engagements déclarés augmente, la profondeur de ces actions laisse à désirer : souvent, il s’agit de dialogues ponctuels, peu documentés, et sans indicateurs de succès. Cela contribue à un sentiment de “ESG washing” même dans des démarches qui se veulent responsables.

 

Conclusion : une nouvelle phase de maturité à construire

Le développement rapide et parfois opportuniste de l’ESG a entraîné de nombreuses dérives. Le moment est venu pour les Asset Managers de passer d’une phase d’expansion à une phase de consolidation. Cela implique :

  • De mieux encadrer les pratiques et les discours pour éviter les risques de greenwashing,
  • D’adapter la distribution et l’information client pour éviter la déception,
  • De rationaliser les investissements et les dispositifs internes,
  • De revoir en profondeur la gouvernance des données extra-financières,
  • Et de renforcer la stratégie d’engagement actionnarial avec des objectifs clairs et mesurables.

 

Périclès Consulting, à travers son expertise sectorielle, accompagne les Asset Managers sur l’ensemble de ces leviers – gouvernance ESG, transformation des dispositifs, stratégie data,… afin de les aider à atteindre cette nouvelle phase de maturité, plus exigeante certainement mais aussi plus durable.

 

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