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03

Avr 2019

Fonds activistes
  • Articles et presse

Fonds activistes – Danger ou opportunité pour les entreprises ?

Rédigé par Philippe Recouvreur – Manager Périclès Consulting

Les grandes entreprises doivent-elles craindre ces fonds à l’image de pirates abordant les vaisseaux à la voilure insuffisamment gonflée ?

Peut-être, si l’on en croit certains articles de médias dont ils sont régulièrement la cible. Les fonds activistes évoluent dans l’ombre des fonds « vautour » qui achètent la dette d’entreprises cotées ou d’Etats en difficulté à une fraction de sa valeur d’origine pour les assigner devant les tribunaux et leur réclamer un paiement total majoré d’intérêts et de pénalités. Pourtant, les fonds activistes se distinguent clairement de ces pratiques. Ils investissent dans le capital de sociétés cotées pour en prendre le contrôle, sans lancer d’OPA hostile. Ils veulent peser sur les décisions d’entreprises pour une gestion efficiente et augmenter les dividendes distribués.

Les fonds activistes, souvent incarnés par leurs gérants, prennent la forme de Hedge Funds domiciliés principalement aux Etats-Unis à l’image du fonds Trian Partners fondé par Nelson Peltz et de « Pershing » de Bill Ackman, et en Grande Bretagne avec « TCI Fund Management » créé par Christopher Hohn. Ces fonds se développent peu à peu dans le reste de l’Europe comme le fonds suédois « Cevian » fondé par Lars Förberg et Christer Gardell.

Ils sont détenus par des acteurs privés qui souhaitent placer leur argent avec des rendements au-dessus du marché.

Ils disposent de moyens importants pour acquérir un volume de droits de vote suffisant et impacter les décisions de l’entreprise tout en restant actionnaires minoritaires.

Ils investissent partout !

Les fonds activistes ciblent principalement les grandes entreprises du monde entier notamment en Europe. Une étude publiée en décembre dernier indiquait que sur les 9 premiers mois de l’année 2018, les sociétés du vieux continent prises pour cible par les fonds activistes étaient estimées à une quarantaine (dont 21 en Grande Bretagne).

Si les sociétés françaises furent épargnées jusqu’à la fin des années 90 grâce à l’image perçue de l’étranger, d’une présence majoritaire dans l’actionnariat de l’Etat ou de familles historiques, elles n’échappent plus au raz de marée qui touchent les entreprises européennes.

Pages Jaunes, Darty, Casino, Nexans, Pernod Ricard, Suez, Scor, Latécoère… en ont été des exemples depuis quelques années.

Tous les secteurs d’activité sont concernés. Dans l’agro-alimentaire par exemple, après Nestlé investi par le fonds Third Point, c’est au tour de Danone de voir 1% de son capital contrôlé par le fonds Corvex Management, dirigé par Keith Meister. Dans la téléphonie, le fonds d’investissement Elliott Management de Paul Singer, a acheté 9 % du capital de TIM en Italie dans le but de contrer la gestion de l’actionnaire majoritaire Vivendi…

Ce mouvement devrait s’accentuer fortement avec les investissements induits par la réforme fiscale américaine qui permet aux entreprises US de sortir leurs fonds des paradis fiscaux sans pénalité; Il s’agit de 3000 milliards de dollars potentiels qui pourraient affluer sur les marchés européens et donner lieu à des augmentations de détentions dans les entreprises européennes.

Des objectifs affichés et une méthode efficace !

Les sociétés aux actions souvent sous-valorisées et aux rendements inférieurs au marché apparaissent comme des opportunités pour les fonds activistes. Leurs prises de participations suffisent souvent à orienter les cours de leurs cibles à la hausse. Ils apparaissent comme des actionnaires majoritaires parmi les minoritaires et mènent des campagnes d’information et de persuasion auprès de ces derniers, afin de les embarquer dans leurs décisions lors des votes aux assemblées.

Leur objectif est de valoriser la société et de la rendre plus rentable. Pour cela, ils s’entourent des compétences nécessaires pour contrôler les comptes, analyser la politique financière, les décisions de gestion, la politique commerciale, le marketing produit, l’expérience client… Ils peuvent ensuite exploiter leur pouvoir d’actionnaire minoritaire pour :

  • Empêcher les actions financières trop audacieuses ou dangereuses
  • Recentrer l’activité sur les branches rentables (1)
  • Mettre en place des règles de discipline et de contrôle
  • Améliorer la gouvernance

Ils partent du principe que les sociétés les plus saines et efficaces sortiront leur épingle du jeu au détriment des autres. Ils traitent donc leurs facteurs défaillants pour les remettre sur le chemin de la croissance. L’application de cette gestion rigoureuse porte ses fruits sur le terme avec une augmentation du cours et du montant des dividendes.

Le ressenti dans tout cela !

Au cœur de l’entreprise, la perception de ces actions varie considérablement selon le contexte, les activités concernées et les catégories de salariés.

Côté dirigeants, ceux qui avancent « à l’instinct » risquent de se faire révoquer s’ils ne prennent pas les décisions correctives ad’hoc. La direction est surveillée et perd en liberté d’action. Elle peut être contrainte d’ajuster sa stratégie, de céder certaines activités, de nouer des alliances avec des acteurs de leur secteur. Pierre Henri Leroy, Président de Proxinvest (société de conseil aux investisseurs) confirme ce constat en parlant de « remise en cause de la stratégie de l’entreprise et des équipes de direction ».

Dans les entreprises trop « sociales », le fonds activiste peut y voir un manque de compétitivité surtout dans le contexte actuel de mondialisation et appliquer des actions potentiellement défavorables aux salariés. Si certaines branches sont insuffisamment bénéficiaires elles peuvent être réorientées, réorganisées voir même supprimées avec les lots de reclassements et de licenciements sous-jacents.

En contrepartie, la sécurisation de l’activité obtenue grâce aux actions mises en œuvre, offre des perspectives d’emploi plus durables pour les salariés.

Il arrive même que ces fonds défendent des revendications d’ordre sociétal et humanitaire, comme ce fut le cas chez Nike avec l’arrêt du travail des enfants sur les chaines de fabrication, même si c’est l’image de l’entreprise qu’il fallait sauver.

Des risques bien présents !

Pour autant, certains fonds peuvent avoir une éthique défaillante et souhaiter dégager rapidement des dividendes par tout moyen, au risque d’empêcher l’entreprise de mettre en œuvre une politique de croissance sur le long terme.

Le risque peut provenir également des actionnaires du fonds, concurrents directs des sociétés ciblées. L’objectif est alors de fragiliser l’entreprise pour recevoir d’importants dividendes ou pour lancer une OPA. Mais, ces cas sont rares car en règle générale les autres souscripteurs, venus valoriser leur investissement en vue de leur retraite comme c’est le cas aux Etats-Unis, voient ces pratiques comme des menaces.

Une opportunité certaine et un danger non nul !

Après avoir tant reproché aux fonds de ne pas participer aux décisions des assemblées dans les entreprises, il serait contradictoire de critiquer le rôle actif qu’y jouent maintenant les fonds activistes, surtout s’ils font naître des sursauts salutaires dans la gestion de certaines entreprises dans un contexte international dessiné à la plume américaine et à l’encre de Chine. Ils révolutionnent les sociétés insuffisamment clairvoyantes et jouent le rôle de garant d’une gestion saine et réactive. Il leur reste à faire preuve sur le long terme d’une éthique sans accrocs vis-à-vis de ces entreprises.

Dans le registre éthique, il est intéressant d’imaginer ces fonds, mixant le côté ingérence dans la gestion des sociétés comme ils savent le faire, avec des objectifs ESR en adéquation avec les tendances actuelles de nos sociétés. Un chouette challenge pour nos sociétés de gestion…

  • à l’image d’Elliott Management qui a proposé à eBay de se concentrer sur sa plateforme de vente en ligne qui a fait son succès et qui demeure la plus retable malgré la concurrence du géant Amazon et de plateformes locales comme « Le Bon Coin » en France.

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