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24

Jan 2024

ISR conseil paris pericles group
  • Articles et presse

Gestion ISR : comment vraiment convaincre les investisseurs ?

Article écrit par Belkacem BERRAHAL, Senior Consultant, Kamilia ZOUAOUI RABAH, Manager.

 

Etats des lieux

La popularité de L’Investissement Socialement Responsable ne cesse de grandir auprès de la communauté financière depuis l’accord de Paris signé en 2015 par 193 membres de la convention des Nations unies sur les changements climatiques.

Les sociétés de gestion ont répondu présentes face aux enjeux de durabilité. Selon une récente enquête de l’Association Française de la Gestion financière (AFG) de 2023, 195 sociétés de gestion de portefeuille ont transformé une grande partie de leur gamme pour intégrer à minima des filtres ESG et gèrent 1 174 fonds disposant d’au moins un label (ISR, Greenfin ou Finansol). Toujours selon l’AFG, l’encours à fin 2022 des véhicules (fonds ou mandats) article 8 et article 9 selon SFDR gérés par les sociétés de gestion françaises était de 2 240 Milliards d’euros soit 48% de l’encours global géré.

Une transformation essentiellement tirée par l’offre et la réglementation

L’essor de l’ISR a été poussé par des différentes initiatives réglementaires déployées en France et en Europe ces dernières années. Elles concernent principalement le règlement SFDR (ou « Disclosure ») entré en vigueur le 10 mars 2021, la taxonomie verte, le règlement benchmark (introduisant les deux nouvelles catégories d’indices dits « bas-carbone »), la révision de MIFID 2 de 2022 pour recueillir les préférences des investisseurs en matière d’investissement durable et la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) prévue pour 2024 et visant à harmoniser la publication d’informations sur la durabilité par les entreprises.

La loi française renforce également cette incitation à la Finance Durable. Par exemple, la loi Pacte oblige les assureurs à proposer des Unités de Comptes adossées à des fonds labellisés ISR et Greenfin et un fonds Solidaire.

La réglementation européenne et nationale pousse ainsi les sociétés de gestion à adapter rapidement leurs stratégies d’investissement et leurs gammes de produits pour tendre vers le « tout ESG ». Si elles ne le font pas, elles doivent expliquer pourquoi, c’est le fameux « Comply or Explain » de SFDR.

Et la demande dans tout cela ?

Si en théorie, les investisseurs particuliers se sentent concernés par l’ESG, en pratique le passage à l’acte reste limité. Selon l’enquête IFOP pour le FIR réalisée en septembre 2022, 60 % des Français accordent de l’importance aux impacts environnementaux et sociaux dans leurs décisions de placements. Pourtant, la même enquête indique que seuls 6 % des Français ont déjà investi dans un fonds ISR. Autre exemple, un réseau bancaire « Retail » a confié à Périclès que 80% de ses clients déclarent, dans leur questionnaire MIFID 2, ne pas avoir de préférence en matière d’ESG !

Du coté des institutionnels, la demande pour des gestions ISR est plus marquée. Cependant, nous constatons encore une grande disparité d’approches et de maturité. La plupart ont aujourd’hui mis en place une politique d’exclusion sectorielle ou selon des critères spécifiques que les délégataires de gestion doivent respecter. Ils se sont aussi mis en situation de produire des reportings extra-financiers intégrant leur activité d’investissement.

Il est cependant rare de trouver des institutions qui ont procédé à une refonte globale de leur allocation sous l’angle ESG et qui se sont équipées (en données, outils et expertises) pour réellement piloter (et non constater a posteriori) leur exposition aux facteurs de durabilité au travers de leurs investissements directs et indirects. De plus, l’hétérogénéité des méthodes de scoring ESG des délégataires de gestion devrait inciter les institutionnels soit à imposer leur propre méthode, soit à évaluer, de manière autonome, les risques extra-financiers de leurs portefeuilles d’actifs. Force est de constater que cette autonomie vis-à-vis des délégataires reste minoritaire.

Les investisseurs finaux sont donc objectivement moins disant que les gestionnaires financiers en matière de finance durable.

Pourquoi un tel décalage entre l’offre et la demande ?

Nous identifions divers facteurs qui peuvent expliquer que la demande pour l’ISR est finalement en retrait par rapport à une offre largement répandue.

Premièrement, une partie des investisseurs ne maîtrise pas encore tous les concepts de l’investissement durable. Il faut dire que les concepts sont difficiles à appréhender et à expliquer, surtout lorsque ceux-ci ne possèdent pas de définition précise et admise par tous. Un exemple : un fonds qui oriente sa politique ISR sur l’écologie peut au final avoir des stratégies variées (exclusion des énergies fossiles, empreinte carbone optimisée au sens « Best in Class », suivi d’une trajectoire de décarbonation, financement de la transition écologique, préservation de la biodiversité, préservation des ressources en eau potable…). Le manque de lisibilité et par conséquent les erreurs de compréhension sont donc possibles ce qui entraine, en réaction, de la méfiance des investisseurs. Une grande partie de ce qui est communément appelé du « greenwashing » est en fait dû à cette incompréhension des stratégies ISR.

Par ailleurs, le marché de l’ISR ne cesse d’évoluer au travers de nouvelles réglementations, de nouvelles initiatives publiques ou privées et des différents labels. Révision de SFDR, nouvelle version des critères du label ISR, taxonomie sociale en cours de discussion, des débats sur la simple ou double matérialité… Ce marché qui se cherche encore beaucoup crée, au final, de l’instabilité et de l’inconfort pour les investisseurs. La formation et la pédagogie doivent s’accélérer, notamment pour la clientèle particulière et leurs conseillers.

Cette méfiance est également exacerbée lorsque des controverses graves frappent des émetteurs qui étaient très présents dans des fonds ISR comme ce fut le cas pour ORPEA. Une des promesses fortes des fonds ISR, à savoir la réduction du risque extra-financier et donc l’amélioration du couple rendement/risque, vole en éclat. Cette promesse de surperformance est d’ailleurs de plus en plus contestée. En effet, une étude récente de Scientific Beta (institut EDHEC-Risk) a révélé que la surperformance des ETF ISR par rapport aux ETF non ISR pour les mêmes marchés était quasi nulle. Pire, investir durable peut être synonyme de performance financière inférieure comme avec les sustainability[1]linked bonds. Certains investisseurs l’acceptent aisément mais pas tous. Il faut aussi prendre en compte les biais sectoriels qui accompagnent nombreuses stratégies ISR de par leur exclusion ou la réduction drastique de l’univers investissable. En fonction des cycles de marché, les performances de portefeuilles peuvent être sensiblement différentes par rapport à une allocation stratégique classique ce qui gêne les institutionnels qui ont des enjeux forts d’ALM.

En conclusion : la transition ne doit pas se faire sans les investisseurs

La finance durable ne va-t-elle pas finalement trop vite ? Cette transition à marche forcée de l’offre financière, poussée par le régulateur au regard des urgences climatiques et sociétales, ne devrait pas se faire sous la contrainte.

Les investisseurs doivent être convaincus de la nécessité de mobiliser leurs réserves financières dans le but de financer les projets de transition. Les efforts de pédagogie devraient donc s’intensifier et s’accompagner d’une clarification des concepts dans les prochaines années.

Par ailleurs, l’offre financière devrait être en mesure de s’adapter réellement aux préférences de chaque investisseur. Les professionnels de la gestion sous mandat devraient mener, dans les prochaines années, de gros travaux de revue de la gamme de supports pour leur permettre d’adresser chaque Objectif de Développement Durable (ODD) des Nations unies qui auront la préférence de leurs clients.

Enfin l’investissement durable reste de l’investissement avant toute chose ! La recherche de la préservation et de la valorisation du capital demeurera au centre de la proposition de valeur des professionnels de l’investissement. L’impact sociétal et environnemental de l’investissement continuera à être un objectif secondaire et la mesure de ses conséquences sur la performance financière des produits financiers devrait être mieux explicitée dans les reportings à destination des investisseurs.

 

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