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Mai 2025
L’Europe fait face à un impératif de réarmement dans un contexte de tensions géopolitiques accrues, entrainant les dirigeants européens à acter la nécessité d’augmenter de plusieurs points par an les dépenses militaires. Ce besoin massif de financement pose une question centrale : comment mobiliser efficacement l’épargne et les capitaux privés. Le défi consiste à structurer des mécanismes adaptés pour flécher l’investissement vers le secteur de la défense au niveau européen et national. Pour cela, plusieurs sources de financement doivent coexister, la dette et les fonds propres. L’industrie de la défense repose sur une base industrielle et technologique de défense (BITD) structurée autour de grands groupes et de milliers de PME stratégiques. Cependant, cette industrie fait face à des contraintes financières majeures : une dépendance accrue aux financements externes, des marges faibles, des difficultés à lever des fonds propres et une exposition face aux critères ESG et le risque réputationnel. Dès lors, assurer un financement de la BITD nécessite une approche globale : renforcement des fonds propres, adaptation des outils de financement et incitations à l’investissement de la base industrielle.
La Commission européenne a présenté, le 5 mars 2025, le plan Rearm Europe1 qui s’organise autour de 5 axes, visant à mobiliser 800 milliards d’euros pour « garantir une Europe sûre et résiliente » : (i) clause de sortie du pacte de stabilité et de croissance, (ii) lever 150 milliards d’euros grâce à des obligations émises au niveau européen, (iii) faciliter l’utilisation des fonds de cohésion pour les investissements militaires, (iv) créer une union de l’épargne et de l’investissement, (v) étendre le rôle de la Banque européenne d’investissement en matière de financement de la défense.
Outre les dispositifs de la loi de programmation militaire 2024-2030 (LPM) qui prévoit une enveloppe de 413,3 milliards d’euros pour les armées, le ministre chargé de l’Économie, Eric Lombard, estime que « les entreprises auront besoin d’à peu près de 5 milliards d’euros de fonds propres, de capitaux nouveaux, d’argent des investisseurs publics et privés afin d’augmenter les chaines de production et de se développer. » Ainsi, les investisseurs publics français, notamment la Caisse des Dépôts (CDC) et Bpifrance, mobiliseront 1,7 milliard d’euros en capital, avec l’ambition d’atteindre jusqu’à 5 milliards grâce aux co-investissements privés.
Face aux défis de financement du secteur de la défense, de nouvelles initiatives publiques ont été mises en place pour renforcer l’investissement et favoriser l’implication des acteurs privés. Le ministre chargé de l’Économie, a annoncé que cet engagement public devait agir comme un effet de levier. En effet, Bpifrance a lancé un fonds de 450 millions d’euros, accessible dès 500 euros, permettant aux citoyens d’investir dans la défense. Par ailleurs, le fonds Definvest, initialement financé par le ministère des Armées à hauteur de 100 millions d’euros, voit sa durée d’investissement prolongée à 20 ans et sa durée de vie étendue à 30 ans afin d’accompagner plus durablement les PME et ETI. Enfin, le Fonds innovation défense (FID) bénéficie d’un réabondement portant sa taille à 245 millions d’euros pour soutenir les entreprises à forte croissance.
Pour l’instant, l’une des solutions les plus avancées se matérialise dans la proposition de loi relative au financement des entreprises de l’industrie de défense française. Elle a été adoptée le 5 mars 2025 au Sénat2 et a été transmise à l’Assemblée nationale. Cette proposition envisage de flécher une partie des encours du livret A et du LDDS non centralisé3 auprès de la Caisse des dépôts et consignations vers le financement des entreprises de l’industrie de défense française. Ce choix a été fait en raison de la volonté d’éviter la création d’un nouveau livret d’épargne réglementée. En effet, la multiplication des livrets d’épargne réglementée n’est pas souhaitable, tant en termes de lisibilité pour les épargnants que de mutualisation des investissements.
Une seconde solution pourrait être de créer des fonds d’investissement éligibles à l’assurance-vie en unités de compte (UC) ou aux plans d’épargne retraite (PER). En effet, la direction générale du Trésor et la Direction générale de l’armement (DGA) ont ainsi sollicité 80 fonds d’investissement pour accompagner cette démarche. Dans le cadre des fonds euro, les assureurs devraient veiller à ce que les actifs respectent les critères de diversification, de liquidité et de qualité exigés par Solvabilité II. Ces nouveaux placements permettraient, aux épargnants qui le souhaitent uniquement, de soutenir les PME et startups de la défense, en leur apportant des financements. Pour cela, ce sont des fonds d’investissement dédiés qui pourraient voir le jour : Amundi devrait lancer plusieurs fonds d’investissement sur la défense européenne, BNP Paris souhaite lancer deux fonds avec une thèse d’investissement liée à l’industrie de la défense et Widsom Tree ouvre un ETF. Toutefois, pour financer les PME et ETI du secteur de la défense, ces fonds ne peuvent pas être exclusivement composés d’actions, compte tenu du caractère majoritairement non coté des entreprises ciblées. L’alternative des obligations existe, mais le ministre chargé de l’Économie insiste sur la nécessité d’apporter « des fonds propres et des capitaux nouveaux », ce qui oriente naturellement vers le capital-investissement. De ce fait, l’AMF a indiqué qu’une procédure accélérée allait être mise en place pour ces fonds. Cependant, cette solution du capital-investissement soulève des problématiques en matière de solvabilité, de liquidité et d’indisponibilité temporaire de l’épargne, un peu à l’instar de ce qu’on a connu dans les débats de la loi industrie verte.
Enfin, une solution plus long-terme pourrait être envisagée : la création d’un label “Défense”, inspiré du modèle du label “Relance”. Ce label aurait pour objectif d’orienter l’épargne des Français vers des fonds d’investissement dédiés au soutien des entreprises du secteur de la défense, en facilitant leur identification par les épargnants et les investisseurs institutionnels.
Un autre aspect crucial concerne le respect des thèses d’investissements ESG des épargnants. Les investisseurs choisissant ces fonds sont généralement sensibles aux questions éthiques et environnementales, et pourraient être réticents à voir leurs placements financer des entreprises du secteur de la défense. En effet, en dehors des armes dites « controversées », un débat s’articule autour de la notion de compatibilité entre les critères ESG et l’industrie de la défense. Malgré un tissu réglementaire complet et complexe, les institutions financières ont tendance à adopter une attitude conservatrice par rapport à ce qu’impose la législation et appliquent souvent des politiques d’exclusion avec des périmètres plus importants. Une crainte repose sur l’idée que les ressources des livrets réglementés pourraient être utilisées pour financer des activités illégales, alimenter des situations de guerre ou profiter à des pays qui ne respectent pas les droits de l’Homme. De ce fait, la mobilisation de l’épargne et des capitaux doit s’exécuter dans la plus grande transparence et lisibilité pour maintenir son efficacité.
En conclusion, passer l’effort de financement des dépenses de défense de 2 à 5% du PIB en quelques années représente une équation budgétaire complexe. Une telle progression représente une somme totale de 90 milliards d’euros, soit ¼ des dépenses de retraite, 1/3 des dépenses de santé ou encore l’intégralité des dépenses pour la famille ou contre la pauvreté. Quand, chaque année, il est particulièrement difficile et périlleux politiquement de faire varier ces budgets, comment résoudre cette équation ? Si une partie du financement pourrait passer par la mobilisation de l’épargne privée, avec le lancement de nouveaux produits d’épargne fléchés (parts de livrets A, fonds défense, etc.) pour soutenir le financement de programmes de défense., reste que cet effort conséquent nécessitera certainement de mettre à contribution d’autres acteurs tels que les assureurs, qui contribuent déjà très fortement au financement de la Sécurité Sociale et les différentes mesures du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale.
2 Dossier législatif – Financement des entreprises de la base industrielle et technologique de défense
3 Seuls les encours centralisés par la Caisse des dépôts et consignations servent à financer le logement social. Or la proposition de loi porte sur les encours non centralisés, qui demeurent au sein des établissements bancaires et qui ne financent pas le logement social.
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