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29

Fév 2024

  • Divers

Les fonds à poche sociale : vraiment responsables, concrètement solidaires ?

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Article écrit par Guillaume DE PIEDOUE, Manager et Antoine AMIC, Senior Consultant.

 

Voir son patrimoine prospérer et croître tout en participant à la défense des moins favorisés ou à la protection de la nature, voilà une idée enthousiasmante pour tout investisseur soucieux de ses rendements mais aussi de la société qui l’entoure. 

C’est la vision un peu idyllique que présentent depuis plusieurs années les acteurs du marché de l’investissement (que ce soient les sociétés de gestion, les assureurs ou les banques) via des véhicules ou des fonds spécifiques, mais aussi les institutions politiques (gouvernement, Parlement européen…) à travers les réglementations mises en place récemment. 

Le label ISR : des impacts encore insuffisants 

Sur le papier, la promesse faite à l’investisseur est simple : pour un rendement équivalent, votre patrimoine investi servira à financer des actions positives et socialement responsables. Cette promesse répond à la volonté d’une majorité de français pour qui les impacts environnementaux et sociaux prennent une part importante dans leurs décisions de placement : plus de 60% des français sont dans ce cas, selon l’enquête IFOP « Les français et la finance responsable » publiée en 20231. 

De plus, les fonds labellisés ISR semblent tenir leurs promesses de rendements équivalents à ceux des fonds classiques. Ainsi, l’indice MSCI World ESG Leaders, l’un des plus anciens indices d’investissement responsable, a affiché un rendement annualisé de 5,71 % entre le 28 septembre 2007 et le 26 mai 2023, contre 5,30 % pour l’indice généraliste MSCI World sur la même période. C’est également ce que conclut l’étude de Morningstar publiée en juin 2023 au sujet des performances des fonds ESG2. 

Si les rendements semblent au rendez-vous, l’efficacité réelle et concrète de ces investissements reste cependant à démontrer aux investisseurs. Le manque de transparence sur les entreprises et activités réellement financées par ces fonds et leurs impacts concrets rendent les investisseurs suspicieux. 76% des français estiment que les investissements socialement responsables « constituent surtout un argument marketing sur lequel les banques communiqueront mais qui ne changera rien à l’utilisation concrète qui sera faite de [leur] épargne », toujours selon l’enquête IFOP « Les français et la finance responsable » publiée en 2023. Une étude du CSA Research indique également que les notions de placement durable ou responsable et d’ISR apparaissent floues et les concepts tels que les critères ESG ou extra-financiers opaques ; les épargnants attendent des exemples concrets de projets et des preuves de l’impact de ces placements. 

À cela s’ajoute le fait que les investisseurs peuvent avoir des sensibilités diverses sur les actions ou entreprises qu’ils souhaitent financer. Certains seront plus enclins à financer des actions environnementales et d’autres des actions socio-économiques ou encore éthiques. 

Le développement des fonds solidaires en réponse à un besoin de concret… 

Pour répondre à cette volonté de voir concrètement les résultats de ces investissements responsables ainsi qu’à la thématisation des investissements, nous voyons se développer des véhicules financiers adaptés : les fonds solidaires. Créés en 2021, les fonds solidaires, aussi appelés fonds « 90-10 », disposent d’une poche sociale de 5 à 10% du fonds utilisée pour financer des activités solidaires via des entreprises solidaires, des financeurs solidaires ou des fonds de microfinance. 

Encouragés par les différentes réglementations successives (la Loi de Modernisation de l’Économie (LME) du 4 août 2008 puis la loi PACTE en 2019), les fonds de ce type sont amenés à se multiplier dans les prochaines années. En croissance constante depuis plus de 10 ans, la collecte sur ces fonds a grimpé en flèche ces dernières années : 1,5 milliard d’encours en 2009, 11,5 milliards en 2019 et 24,5 milliards au 31/12/2021 (soit 24% d’augmentation par rapport à l’année précédente). Avec actuellement près de 200 fonds labellisés Finansol, ils devraient continuer à collecter toujours plus afin de répondre à la demande des investisseurs ne se satisfaisant plus du manque de transparence et de sens des fonds ISR sous leur forme actuelle. 

Les investisseurs cherchent de plus en plus à voir les résultats tangibles de leurs investissements. Cette demande émane d’une méfiance croissante envers les pratiques de greenwashing, lorsque les entreprises tentent de donner une image plus positive de leurs activités environnementales ou sociales qu’elles ne le sont réellement. De plus, les investisseurs exigent désormais une transparence accrue dans l’utilisation des fonds qu’ils investissent. Ils souhaitent s’assurer que leur argent est réellement employé à des fins bénéfiques pour la société et l’environnement. Ainsi, les fonds à poche sociale émergent comme une réponse à cette exigence, promettant une visibilité accrue sur l’utilisation de la poche sociale, alignant ainsi l’investissement sur les valeurs éthiques et sociales de l’investisseur. En effet, il ne s’agit alors plus d’investir contre un fonds ou une entreprise mais bien pour une cause ou une action positive, qu’elle soit sociale ou environnementale. 

…et motivé par un sentiment d’appartenance 

Afin de favoriser ce besoin de concret et de transparence chez les investisseurs, nous assistons à une thématisation toujours plus grande, non seulement des fonds mais surtout des poches sociales qu’ils portent. Que cette thématisation soit portée par la stratégie d’investissement de la société de gestion (avec par exemple une SCPI santé qui investit dans des cliniques) ou par la sensibilité du gérant du fonds, celle-ci devient une marque de différenciation du fonds vis-à-vis de ses concurrents. Ce phénomène, que l’on pouvait retrouver à travers le mécénat ou les fondations d’entreprise, prend toute son ampleur via les fonds à poche sociale. Au lieu de promettre au client qu’une part de son achat financera, via l’entreprise, une bonne cause ou action (comme les entreprises qui reversent un pourcentage de leur chiffre d’affaires), ici, le fonds permet de participer directement au financement d’une cause à laquelle l’investisseur se sent lié. 

Au-delà des plus-values, qui restent la priorité de l’investisseur, celui-ci aura la possibilité de se sentir réellement acteur de l’amélioration de la société et du développement des causes auxquelles il croit. Cette thématisation des fonds d’investissement devient alors un argument de décision pour l’investisseur dans son choix entre plusieurs fonds, à rendement équivalent. De même, le thème ou l’objet de la poche sociale du fonds sera alors central dans le choix d’investissement. 

Ainsi, de la même manière que pour le choix de faire un don à une ONG ou à une campagne de crowdfunding, le choix d’investissement se fera selon la proximité des valeurs de l’investisseur avec celles représentées par la poche sociale du fonds. Les investisseurs vont donc se regrouper autour de fonds portant des valeurs communes, favorisant alors une communautarisation des investissements. Cette communautarisation peut prendre des formes multiples, qu’elle soit régionale, politique, religieuse, identitaire, de différents systèmes de culture ou de valeur. 

La force de cette communautarisation des investissements ne doit surtout pas être sous-estimée. L’affaire GameStop en 2021, dans laquelle une forte communauté d’investisseurs individuels organisés via les réseaux sociaux a défié des hedge funds qui pariaient à la baisse sur le titre de l’entreprise GameStop, a démontré la puissance que pouvait avoir une communauté organisée et rassemblée autour de valeurs ou d’un objectif commun. De la même façon, un fonds proposant une poche sociale ayant pour thème une valeur ou un objet cher à une communauté, quelle qu’elle soit, deviendrait un catalyseur pour cette communauté et une cible d’investissement commune, chaque membre de la communauté encourageant les autres à rejoindre le mouvement. Ce phénomène est similaire à celui visible sur les réseaux sociaux, au travers du relais de cagnottes soutenant des causes spécifiques, ainsi que dans le cas d’un appel au vote pour soutenir son candidat favori dans les émissions télévisées parce qu’il provient de la même communauté de valeur. 

Ce sentiment d’appartenance communautaire peut d’ailleurs être si important qu’il amenuise la priorité première de l’investisseur : avoir le maximum de rendement sur son investissement. En comparaison, devant deux produits à qualité équivalente, un consommateur rationnel prendrait le moins cher des deux. Pourtant… un Normand pourra dédaigner le beurre ou le cidre breton, moins cher, pour leur préférer ceux de sa région ; un Lillois repoussera l’endive belge pour la française locale ; un écologiste choisira le produit ayant la plus faible empreinte carbone, etc. 

Ainsi, si nos systèmes de valeurs peuvent compenser la rationalité « d’acheter moins cher », ils peuvent également nous induire dans des investissements dédiés si, et seulement si, les performances restent conformes aux moyennes de marché. Et c’est là la force et le pari possible des fonds à poche sociale : rassembler autour de ces poches des investisseurs engagés. D’une part, ces investisseurs seront plus enclins à investir dans un fonds dont ils partagent les valeurs, mais ils auront également tendance à y être fidèle. 

Enfin, l’effet de communauté pousserait nombre de particulier à investir réellement pour la première fois dans des fonds d’investissement de leur propre chef, la grande majorité des Français n’ayant encore jamais investi dans un fonds. 

Des véhicules à rendre accessibles à tous 

Pour permettre à ces fonds d’attirer un large panel d’investisseurs, il est donc nécessaire qu’ils soient portés par des véhicules financiers facilement accessibles et démocratisés. Les succès des opérations de crowdfunding et de crowdlending reposent en partie sur la simplicité d’accès à ces produits. Les fonds à poches sociale ont donc tout intérêt à être accessibles via des véhicules déjà démocratisés tels que l’assurance-vie, l’épargne salariale, les comptes-titres ou directement en nominatif comme c’est le cas pour les SCPI à poche sociale. 

Les risques associés et les solutions pour les contrôler 

À ce fort potentiel d’attractivité du fonds via sa poche sociale, il est évidemment associé plusieurs risques. Le plus courant est certainement le risque d’inanité de la poche sociale, soit par un manque total de rendement de la poche (celle-ci n’a pas vocation à être sans gains) soit par un faux engagement (aucune action concrète et réelle en faveur de la cause défendue).

Le second risque, lié à la communautarisation, est un risque d’image du fonds si celui-ci est associé à une communauté d’investisseurs majoritairement trop marquée, empêchant d’autres investisseurs de rejoindre le fonds. On pourra se rappeler des bad buzz de certaines marques de vêtements associées contre leur gré à des groupes communautaires : Lacoste, Louboutin, Fred Perry.

Le troisième risque repose sur les investisseurs. En effet, l’investissement dans un fonds pouvant devenir un marqueur d’appartenance, cela pourrait pousser les membres de la communauté à y investir au mépris de la prudence ou de la connaissance des risques : encore une fois, l’exemple de GameStop est éloquent.  

Une solution permettant de contrôler et minimiser ces dérives possibles serait la mise en place d’une assemblée d’investisseurs du fonds avec un droit de regard sur les investissements de la poche sociale, au même titre qu’une assemblée d’actionnaires ou qu’un comité de mission dans le cas des Entreprises à Mission. 

Ainsi, le développement croissant des fonds à poche sociale, comme une réponse à la volonté des investisseurs de pouvoir associer leur quête de rendement avec la capacité de pouvoir agir concrètement pour des causes ou valeurs qui leur sont chères, devrait se poursuivre à l’appui de plus de transparence et de participation active des investisseurs dans le suivi et la gestion de ces poches sociales. 

 

 

1 « Les Français et la finance responsable », IFOP

2 « How Do ESG Funds Perform? », Morningstar

 

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