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Oct 2025
Aux États-Unis, le débat sur l’intégration du private asset dans les plans 401(k) (plans de retraite à contribution définie) illustre à quel point la question est sensible : autorisée en 2020, puis freinée, cette mesure a de nouveau été relancée par un décret exécutif en 2025. Derrière ces oscillations politiques se cache une question universelle structurante pour les épargnants : faut-il ouvrir l’épargne longue des particuliers aux actifs non cotés pour dynamiser le financement de l’économie réelle et l’épargne des particuliers quitte à en complexifier la gestion et à accroître les risques de gouvernance ?
Face à ce contexte, la question qui se pose pour les épargnants français est celle de la place à donner aux actifs non cotés dans leur épargne. La loi industrie verte s’empare de ce sujet et vise à orienter une part de l’épargne longue vers des actifs soutenant la transition industrielle et écologique. La réglementation cible à la fois le stock existant et les flux nouveaux : les trajectoires des gestions pilotées, en particulier dans les Plans Epargne Retraite (PER) et dans certains contrats d’assurance-vie en unités de compte, doivent désormais intégrer une exposition aux actifs non-côtés. L’objectif est double : financer l’économie réelle et démocratiser l’accès à cette classe d’actifs, tout en encadrant cet accès par des exigences d’information et d’adéquation pour protéger les épargnants.
Concrètement, ce sont les gestions pilotées des PER et des contrats d’assurance-vie qui sont concernées : les profils dits « prudent », « équilibre », « dynamique » et « offensif » doivent comporter une part minimale d’actifs non cotés. La loi introduit aussi un principe de dégressivité : dans un PER, la part minimale d’actifs non cotés varie selon l’horizon avant la retraite, allant de 6-15 % à 20 ans à 2-6 % à 5 ans. En assurance-vie, l’exposition minimale est fixée à 4 % pour un profil équilibré et 8 % pour un profil dynamique.
A fin 2024, moins de 3 % des 119 Md€ d’encours PER sont investis en non cotés, mais la réforme pourrait réorienter chaque année 1-2 Md€ de flux supplémentaires via les PER et 1,5-3 Md€ via l’assurance-vie[1].
Pour rendre ces solutions compatibles avec l’univers assurantiel, plusieurs montages et formats se développent : des ELTIF réformés qui facilitent l’accès retail tout en imposant des garde-fous ; des fonds « evergreen » offrant une gestion continue et des mécanismes de liquidité adaptables ; des feeders qui agrègent la demande retail vers des véhicules spécialisés ; et des adaptations de FCPR pour répondre aux contraintes des wrappers life[2].
Le marché retail des actifs non cotés reste jeune mais en forte expansion. À fin 2024, l’enquête de France Invest[3] recense 117 véhicules destinés au grand public, dont 71 déjà référencés en assurance-vie, et un volume de collecte annuel en croissance (≈2,65 milliards d’euros en 2024, +29 % vs 2023) pour un encours total d’environ 10,8 milliards d’euros. Les formats « life-friendly » progressent rapidement avec 25 fonds evergreen qui représentent près de 62 % des encours.
L’intégration d’actifs non cotés dans une allocation d’épargne longue apporte, sur le long terme, un potentiel de rendement complémentaire aux marchés côtés. Capital-investissement, private equity et dette privée offrent des sources d’appréciation du capital distinctes des actifs côtés (primes d’illiquidités qui rémunèrent les investisseurs pour l’immobilisation de leur capital sur plusieurs années, création de valeur opérationnelle issue de l’accompagnement actif des entreprises financées et plus-value réalisée lors de leur revente). Peu corrélés aux indices côtés, ces moteurs de performance permettent, lorsqu’ils sont bien structurés et mutualisés, d’améliorer le profil rendement/risque et participent à une diversification réelle du patrimoine.
Par ailleurs, le non coté s’accorde avec un horizon d’investissement long. Inscrit dans l’assurance-vie ou le PER via des véhicules appropriés, il permet de tirer parti du temps nécessaire à la création de valeur tout en proposant des dispositifs de liquidité calibrés pour l’épargnant.
L’essentiel est d’aligner clairement l’horizon d’investissement avec la communication sur les contraintes de liquidité pour éviter incompréhension et risques mal appréhendés.
L’arrivée du non coté dans les enveloppes retail nécessite une prise en compte dans la chaîne opérationnelle : la sélection requiert une due-diligence complète et un suivi renforcé, tandis que la gestion doit s’appuyer sur des équipes spécialisées capables d’évaluer l’illiquidité, d’arbitrer et de piloter les relations avec les asset managers.
Sur la dimension produit, les assureurs et distributeurs doivent industrialiser des wrappers life-friendly et gérer les flux contractuels (souscriptions, arbitrages, rachats) pour absorber le volume tout en respectant la conformité. La gouvernance produit doit intégrer des comités spécialisés (risque liquidité, valorisation, conformité) et des règles de revue périodique des véhicules référencés.
La liquidité est l’enjeu opérationnel central. Les réponses combinent conception produit, provisions opérationnelles et dispositifs contractuels. Parmi les mesures à prendre en compte figurent : la création de buffers de liquidité, de fenêtres de rachat et préavis, des mécanismes de portage pour absorber les déséquilibres temporaires, et la facilitation de l’accès aux marchés secondaires. Les acteurs doivent aussi prévoir des plafonds d’exposition agrégés, des gating automatiques (limite temporaire des rachats de parts par les investisseurs) en cas de stress et des scénarios de stress-testing réguliers pour se prémunir du risque de liquidité sur cette classe d’actif.
Par ailleurs, contrairement aux actifs côtés, valorisés quotidiennement et suivis en continu, les actifs non cotés obéissent à une cadence de valorisation beaucoup plus espacée. Cette différence constitue un enjeu supplémentaire de reporting vis-à-vis des épargnants. Une forme de reporting adapté pourrait s’organiser à travers une synthèse trimestrielle simple et immédiatement exploitable (allocation, part d’actifs non-côtés, niveau de liquidité estimé, événements clés), complétée par un reporting annuel détaillé pour garantir une information lisible et complète. Chaque indicateur doit être accompagné de commentaires explicatifs pour éviter des interprétations erronées, en particulier face à des valorisations qui ne reflètent pas la même temporalité que celles des marchés cotés.
Ainsi, sans pédagogie, l’acceptation durable du non coté est compromise. Il faut former les distributeurs (modules e-learning, scripts de suitability, cas pratiques), produire des contenus clients clairs (one-pager, FAQ, vidéos courtes, simulateurs d’horizon/liquidité) et organiser des rencontres pédagogiques. L’approche doit rester pragmatique et s’aider de cas pratiques tels que des scénarios chiffrés sur 5-10 ans, des illustrations des conséquences d’un rachat anticipé, et de la transparence sur les frais et mécanismes de portage.
L’intégration des actifs non cotés dans l’épargne longue française marque une inflexion stratégique majeure : il ne s’agit plus seulement d’une évolution réglementaire, mais d’une transformation en profondeur des pratiques de marché. La réussite dépendra moins de la contrainte d’encadrement de la part de private assets dans les allocations d’actifs que de la capacité des acteurs à sécuriser la chaîne opérationnelle, à concevoir des produits lisibles et adaptés, et à instaurer une pédagogie robuste auprès des épargnants comme des distributeurs.
Si ces conditions sont réunies, le non coté peut s’imposer comme un levier durable de rendement et de diversification pour les particuliers, tout en constituant une source stable de financement pour l’économie réelle et la transition. À défaut, l’initiative risque de se heurter à la méfiance, voire à un désalignement entre attentes et contraintes. En d’autres termes, ce contexte réglementaire (loi industrie verte et ELTIF 2.0) n’ouvre pas seulement l’accès à une nouvelle classe d’actifs : elle teste la capacité collective du marché à concilier innovation, protection et confiance dans la durée.
[1] Source : Livre blanc 2024 AFG loi industrie verte
[2] Les wrappers « life ou life-friendly » sont des structures d’investissement spécialement adaptées aux contrats d’assurance-vie, qui permettent d’intégrer des actifs longs ou complexes qui respectent les contraintes de liquidité et de gouvernance propres aux contrats, tout en restant attractifs et lisibles pour les distributeurs.
[3] Source : Enquête 2024 France Invest sur les fonds investis en non-côté ouverts aux particuliers
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