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13

Mar 2017

  • Articles et presse

L’assurance blockchainisée

Article rédigé par Jean-Baptiste PLEYNET – Manager – Périclès Group Luxembourg pour l’Agefi Luxembourg

La blockchain est le sujet « in » et « geek » du moment. Derrière le terme flatteur et la technologie aussi pointue qu’impénétrable, nous proposerons ici un exercice d’anticipation : qu’est-ce que sera l’assurance dans un monde gouverné par les blockchains ?

La preuve par l’exemple

L’avenir n’est pas si lointain car des contrats d’assurance 100% blochain existent déjà.

Le meilleur exemple que l’on puisse trouver est l’initiative « Flight Delays Dapp ».

Le principe est simple : il s’agit d’une assurance en cas de retard d’un vol (comme son nom l’indique presque).
Il suffit d’indiquer le vol et la somme que l’on souhaite toucher en cas de retard. Le site calcule alors la somme qu’il faudra payer si le vol est à l’heure (la prime d’assurance). Si le client accepte le deal, un contrat est conclu entre l’assureur et le souscripteur sous forme de Smartcontract sur la Blockchain Ethereum. Il est enregistré dans la blockchain et devient donc irréversible.

Une fois l’heure de l’atterrissage prévue, un site internet tiers et neutre (appelé de façon générique un oracle dans le vocabulaire des initiés) va aller lire sur un site internet spécialisé si le vol est dans les temps ou non. Il va alors renseigner cette information dans la Blockchain Ethereum (retard oui / non) et cela aura pour effet de dénouer automatiquement et sans aucune intervention d’aucune des parties le contrat signé précédemment. En d’autres termes, le souscripteur sera payé si l’avion est en retard, ou bien paiera sa prime si l’avion est à l’heure, parfois même avant d’avoir posé le pied à terre.

Ce paiement est garanti par le fait que le contrat a bloqué les sommes correspondantes sur les comptes de l’assureur et du souscripteur en attendant le dénouement.

Cet exemple, à la fois simple et révolutionnaire, montre le mode de fonctionnement des assurances du futur.

Pour le client, c’est la garantie d’être payé en cas d’exécution de son risque. En effet, aucune intervention humaine n’est nécessaire pour réaliser le paiement : il sera opéré quoi qu’il arrive, même si lors de l’atterrissage l’assureur a déposé le bilan ou disparu, sans discussion ni contestation possible, ni sans aucune démarche de sa part.

Un retour sur le core business

Dans ce contexte, le métier de l’assureur est concentré sur son cœur de business : porter et tarifer des risques.

En effet, la compagnie est toujours celle qui va accepter de prendre un risque qui n’est pas le sien en échange d’une prime d’assurance dont elle aura calculé la valeur.

Cependant dans l’exemple précédent, un pan entier de l’activité actuarielle disparaît, puisque les contrats sont structurellement couverts à 100%. Dès lors, il n’y a plus d’activité de calcul des réserves, le Smartcontract gérant les sommes à immobiliser en collatéral des contrats.

D’autres activités majeures des compagnies d’aujourd’hui disparaissent dans ce nouveau monde : le back office gestion et le backoffice financier, puisque c’est le Smartcontract qui organise le paiement et la vie du contrat ; et la gestion actif passif, puisque la prime n’est pas acquise avant le sinistre et que les fonds en collatéral des contrats sont bloqués.

Une nouvelle activité se crée par contre chez ces assureurs de demain : la conception du Smartcontract. Cette opération peut devenir le talon d’Achille du dispositif, puisqu’un programme mal ficelé peut avoir des résultats catastrophiques : au mieux un blocage définitif des fonds, au pire un vol possible par un tiers.

Ainsi, des spécialistes commencent à émerger dans la conception et l’audit de tels codes informatiques.

Le mythe de la désintermédiation

D’aucun peuvent croire que nouvelle technologie signifie baisse des coûts et désintermédiation. Cela n’est pas vrai dans l’absolu.

Les partenaires distributeurs demeureront tant qu’ils apporteront une plus-value pour les clients et utilisateurs finaux.

Dans le cas de Fly Delay Dapp, nous pouvons imaginer un fournisseur de services informatiques qui proposera à des entreprises très consommatrices de voyages en avion une connexion directe entre l’assureur et sa plateforme de réservation interne.

Bien entendu, nous pouvons également parler de tous les comparateurs de prix qui permettent de réserver des billets en ligne, qui pourront proposer un package avec l’assurance retard clé en main.

Les prochains enjeux

Le premier enjeu concerne la régulation, puisque toutes les réglementations sont prises en défaut dans cet univers.

Commençons par Solvabilité 2, dont l’objet est de protéger les assurés en leur garantissant une faible probabilité de défaut (et donc de non recouvrement) de l’assureur.

Dans ce modèle, si l’assureur, en tant qu’entreprise, peut être mis en liquidation, le Smartcontract ne le peut pas. Il est immuable et couvert en permanence à 100% par construction et sera débouclé normalement quoi qu’il arrive. Il est insaisissable et incorruptible.

Il demeure possible qu’une mauvaise tarification du risque puisse mener l’assureur à la banqueroute, mais cela ne se fera jamais au détriment des clients, mais uniquement des actionnaires et créanciers. Dès lors, nous ne parlons plus d’un problème de solvabilité mais plutôt de rentabilité.

Mais l’exécution aveugle du Smartcontract pose des questions non encore élucidées. Qu’est-ce qui fait fois ? Le code du Smartcontract ou le contrat papier (les conditions d’assurances) présenté au client dont le dit Smartcontract est sensé modéliser la logique ?

En d’autres termes, quelle est la responsabilité de l’assureur en cas de Smartcontract mal codé ?

Ensuite, la question de la lutte contre le blanchiment d’argent se pose. Par le passé les crypto-devises ont souffert d’une réputation sulfureuse en raison de leur utilisation dans des milieux peu recommandables. Mais les choses changent et des initiatives naissent pour pouvoir répondre aux exigences de plus en plus sévères des régulateurs en matière de lutte contre le blanchiment. Citons par exemple CoinFirm, qui propose de vérifier si une adresse donnée est impliquée ou citée dans des affaires criminelles. D’autres comme « Proof of Physical Address » proposent de valider sur la blockchain une adresse physique. Mais la simplicité de création d’une nouvelle adresse ou les crypto-devises avec protection de confidentialité (comme les impressionnantes Monero ou Zcash) pourraient refroidir certains législateurs.

Pour conclure sur l’aspect réglementaire, nous pourrions aborder celui des reportings réglementaires et plus généralement de l’audit des compagnies, puisque tout est publiquement consultable sur la blockchain.

Un autre enjeu est la scalabilité du modèle. Fly Delay Dapp est financé sur les deniers de ses créateurs, qui sont forcément limités. Ces derniers ont alors lancé une autre initiative, tout aussi révolutionnaire, sous le nom d’Etherisc.

Cette innovation propose de financer les Smartcontract à l’aide d’un fonds d’investissement qui réassure un fonds primaire, permettant in fine une garantie à 100% pour les assurés et un rendement financier pour les participants au fonds, basé sur les rendements des contrats. C’est donc peu ou prou de la titrisation de risques d’assurance, transparente, accessible à tout montant, low cost et automatique : lorsque le Smartcontract détecte une baisse du niveau de capital disponible pour de nouvelles souscriptions, il émet automatiquement de nouveaux tokens (sortes de bons au porteur informatique) pour accroître la taille du fonds de réassurance.

Enfin, toutes les opérations assurantielles n’entrent naturellement pas dans ce cadre. En sinistre automobile par exemple, il est clair que les processus actuels basés sur l’expertise et la discussion humaine ne peuvent pas aisément être intégrés dans une blockchain tout automatique, sans parler de la difficulté à provisionner 100% d’un sinistre potentiellement infini.
Mais même s’il est difficilement imaginable de les intégrer aujourd’hui, nul doute que la créativité sans limite de la communauté blockchain va proposer des solutions qui bout à bout aboutiront à ce type d’utilisation.

La blockchainisation de l’économie est indéniablement en marche et n’est pas prête de perdre de la vitesse et les assureurs n’y échapperont pas.
Loin de les faire disparaître, il est bien plus probable qu’ils se spécialisent davantage et se reconcentrent autour du métier de leur métier d’origine : la tarification et le support du risque de leurs clients.

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