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05

Mar 2019

Avalanche réglementaire
  • Articles et presse

Fin de l’avalanche réglementaire, l’investisseur est-il mieux protégé qu’il y a 10 ans ?

Article rédigé par Raphaël Cretinon – Associé Périclès Consulting

Les considérants des textes qui réglementent les produits d’épargne et les marchés financiers font tous mention du besoin de renforcer la protection de l’investisseur. Louable intention en théorie mais l’hyperinflation réglementaire que nous avons connue depuis la crise de 2008 a-t-elle vraiment protégé les investisseurs ? Cette protection passe-t-elle uniquement par plus de régulation ? De quoi doit-on réellement protéger l’investisseur ? Décryptage.

Depuis la crise des Subprimes de 2008, le secteur financier a dû faire face à une hyper inflation des textes réglementaires. Contrairement aux brèves de comptoir et aux discours de la sphère politico-médiatique qui entretiennent l’ignorance voire la démagogie, la finance en général et le secteur de la gestion d’actifs/conseil en investissement en particulier sont les secteurs les plus régulés au monde. En effet, les divers régulateurs nationaux ou européens encadrent la quasi-totalité de la chaine de valeur.

Pour rappel, créer une société de gestion nécessite un agrément, le personnel de la société doit disposer de certifications professionnelles, les produits créés doivent être agréés, les processus de commercialisation en avant et après-vente sont rigoureusement encadrés, les messages marketing des sociétés sont contrôlés, la rémunération des gérants est encadrée…bref, les rares secteurs plus régulés que l’Asset Management sont, peut-être, le nucléaire et les laboratoires pharmaceutiques.

Pour vous en convaincre, s’il est encore nécessaire de le faire, voici un rapide résumé des textes classés chronologiquement :

  • 2012 (entrée en vigueur) – EMIR – Réduire les risques systémiques liés aux contrats OTC.
  • 2013 (transposition en France) – AIFM – Donner un cadre aux gestionnaires de fonds non UCITS (fonds professionnels, fonds alternatifs, fonds offshores, FCPE…)
  • 2016 (transposition) – UCITS V – Définir un nouveau cadre européen pour les fonds UCITS avec renforcement de la protection des actifs via les dépositaires de fonds
  • 2016 – SFTR – Amener une nouvelle obligation de reporting sur les opérations de financement de titres (pension, prêt emprunts…)
  • 2018 (entrée en application) – MIFID II / MIFIR – Corriger les défauts du précédent texte et s’adapter aux nouvelles pratiques de marché et renforcer la protection des investisseurs (suitability renforcée, gouvernance produit, distinction du conseil indépendant ou non, encadrement des rétrocessions, alerte investisseur en cas de baisse de valeur supérieure à 10%…)
  • 2018 (entrée en application) – MMF – Refondre le cadre des produits monétaires et réduire les risques de rachats massifs des investisseurs
  • 2018 – IDD – Renforcer la protection des assurés et la formation des distributeurs de produits d’assurance
  • 2018 – PRIIPS – Uniformiser l’information sur les produits financiers packagés (fonds, assurance vie, produits dérivés…)
  • 2018 (entrée en application) – Règlement Benchmark – Encadrer la fourniture et l’utilisation d’un indice de référence, ainsi que la contribution à cet indice

 

Vous me permettrez de me dispenser de lister toutes les autres adaptations du code monétaire et financier et du règlement général ou de la doctrine de l’AMF. Pour autant, il faudrait les prendre en compte pour mesurer la charge réglementaire supportée, chaque année, par les acteurs du secteur financier.
L’avalanche réglementaire semble être passée, la poudreuse commence à se tasser ! Cependant, je ne doute pas que la nouvelle commission européenne, désignée en 2019, sera très créative pour nous produire de nouveaux textes. Rappelons que des travaux sont déjà engagés pour une révision d’EMIR et la mise en œuvre de UCITS VI.

Dans ce contexte, on s’attendrait à ce que l’investisseur institutionnel et particulier soit désormais ultra protégé avec gilet pare balle fraude, casque lourd anti projectile conseil non adapté, ceinture de sécurité financière, parachute des marchés et autre airbag anti collision collusion, le tout fourni clé en main et gratuitement par les professionnels de l’investissement puisque c’est demandé par le régulateur.

Pour savoir si la protection est désormais totale, intéressons-nous maintenant aux principaux scandales que nous avons connus en France et en Europe, liés à l’épargne et l’investissement. Les nouvelles régulations sont-elles une véritable réponse face à ces cas de fraude, manipulation ou autre défaut de conseil ?

La première fraude qui me vient à l’esprit est celle du Fonds de Bernard Madoff qui s’est écroulé fin 2008. Ce hedge fund, commercialisé en Europe à des institutionnels et via les contrats d’assurance vie haut de gamme, offrait une performance régulière entre 5 à 8% sans aucune volatilité, même en période de turbulence des marchés. Cette performance était en fait artificielle et provenait d’un montage de Ponzi où les nouvelles souscriptions finançaient les plus-values des investisseurs sortants. La fraude a été facilitée par le fait que Bernard Madoff était à la fois gestionnaire et dépositaire du fonds. La directive AIFM oblige désormais tout FIA commercialisé en Europe à avoir un dépositaire et donc un contrôle dépositaire indépendant et la directive UCITS V a encore plus renforcé les obligations des dépositaires. Le cadre réglementaire européen entourant les fonds d’investissement a diminué considérablement ce type de fraude.

Autre malversation majeure qui a lésé tous les investisseurs au cours de la dernière décennie, celle des indices Euribor et Libor. Des établissements bancaires se sont entendus, entre 2005 et 2008, pour manipuler les taux d’intérêts de référence à leur avantage. Les établissements condamnés ont dû s’acquitter de très lourdes amendes (plusieurs milliards au total) aux USA mais aussi en Europe. Le nouveau règlement Benchmark régule les émetteurs d’indices et encore plus fortement si l’indice est d’importance critique (utilisé pour la valorisation de plus de 500 Milliards d’euros d’encours en Europe). Nous pouvons donc espérer que la manipulation d’indices financiers sera rendue beaucoup plus compliquée après entrée en vigueur du règlement Benchmark. La protection de l’investisseur a donc bien été renforcée.

Passons à l’immobilier. Comment ne pas parler du scandale Apollonia, certainement la plus grosse arnaque immobilière en France. La société éponyme a vendu, entre 1997 et 2009, 4500 logements au travers du dispositif de défiscalisation “Loueur Meublé Professionnel” à 1 000 investisseurs qui ont surpayé les biens entre 2 et 4 fois le prix de marché. Cette arnaque n’aurait pu avoir lieu sans la complicité de banques, de CGP et de notaires plus intéressés par leurs honoraires que la défense de leurs clients. La loi Scrivener sur le crédit datant de 1978 et la directive MIFID I protégeaient déjà parfaitement les investisseurs contre ce type d’arnaque. Des dizaines d’acteurs ont été condamnés à partir de 2012. J’ai le sentiment que l’avalanche réglementaire n’a pas renforcé la protection de l’investisseur contre ce type de scandale puisque les textes précédant les protégeaient déjà.

Autre scandale lié à défiscalisation, celui de DTD pour “Dom-Tom Défiscalisation”. Des contribuables français ont cédé aux sirènes de la niche fiscale “Girardin” pour un montant total d’investissement de 56 millions d’euros en 2007 et 2010. Les sommes collectées devaient être utilisées pour construire des équipements industriels dans les Dom Tom comme par exemple des fermes de panneaux solaires. En contrepartie, les investisseurs se voyaient promettre un rendement de plus de 60% sur 10 ans grâce, bien sûr, au crédit d’impôt massif. Au final, les sommes collectées n’ont pas été utilisées comme prévu ce qui a engendré une double perte pour les investisseurs : un investissement dans une société qui ne vaut plus rien et un redressement fiscal pour récupérer les crédit s d’impôts concédés par Bercy. Le produit de défiscalisation était vendu via des CGP qui touchaient jusqu’à 15% de commissions sur les montants levés. La CNCGP a lancé la première alerte sur cette société dès 2009 ce qui n’a pas empêché certains conseillers de continuer à vendre le produit. Le manquement au devoir de conseil et d’information et à l’obligation de vigilance des CGP est évident, d’autant que le dirigeant de la société DTD fut impliqué dans un rapport sur les sectes quelques années auparavant. Plus largement au scandale DTD, on estime que l’investissement dans les DOM TOM a lésé plus de 20 000 personnes au cours des années 2000 avec des montages mal fichus voire carrément frauduleux. Là encore, le cadre réglementaire de MIFID I aurait dû protéger les investisseurs, pourquoi promulguer 10 réglementations de plus ?

Intéressons-nous maintenant aux scandales de l’investissement dans les biens réels avec la société Aristophil. Elle promettait des rendements de 8% par an en investissant dans des manuscrits. 18 000 épargnants se sont laissés tenter en achetant pour presque 800 millions d’euros de lettres et autres vieux papiers via la société qui en assurait la conservation et la valorisation via son musée. Finalement, les manuscrits vendus étaient largement surévalués par rapport au prix d’adjudication des ventes aux enchères. Les nouveaux clients d’Aristophil achetaient des documents à des anciens clients d’Aristophil à un prix artificiel fixé par la société. Une fois de plus, nous sommes en présence d’une bonne vieille pyramide de Ponzi. Malheureusement, à partir du moment où le pigeon l’investisseur est entré en relation avec la société sans passer par un professionnel de l’investissement, aucune régulation particulière ne protège l’acte d’investissement. Il s’agit simplement d’un acte commercial entre un vendeur professionnel et un client particulier. Au pire, ce sont des pratiques commerciales frauduleuses qui peuvent être reprochées aux vendeurs de biens réels soit disant d’ “investissement”.

Un scandale dans les biens réels a également ébranlé l’Allemagne avec la faillite de la société P&R en 2018. Cette société proposait à des particuliers d’acheter des containers maritimes qui étaient ensuite loués aux sociétés de commerce international. Ce placement atypique était populaire outre Rhin puisque la société a réussi à vendre des containers à plus de 50 000 investisseurs pour un montant de 3,5 milliards d’euros. P&R promettait aux investisseurs un revenu garanti durant 5 ans et une offre ferme de rachat du container en fin de période. Malheureusement, la société a fait faillite fin 2018 car elle n’arrivait plus à louer les containers des investisseurs. Les dizaines de milliers d’investisseurs doivent maintenant attendre la liquidation de la société et espérer récupérer une fraction de leur investissement. La société P&R n’était pas une société d’investissement donc, tout comme Aristophil, les investisseurs n’étaient pas protégés par le cadre réglementaire financier (MIF, UCITS…) mais uniquement par le code du commerce allemand. L’avalanche réglementaire des 10 dernières années n’a donc pas protégé les investisseurs de P&R.

Le dernier scandale que je citerais est celui du fonds “Noble Crus”, un fonds d’investissement luxembourgeois réservé aux investisseurs professionnels et avertis, dont l’actif était investi directement en bouteilles de vin des meilleurs châteaux français. Le fonds, lancé en 2008, a vu son encours monter jusqu’à 110 millions d’euros. En 2013, il a été liquidé avec des pertes importantes pour les investisseurs car de graves problèmes de sur-valorisation des bouteilles ont été constatés. La VL du fonds était décorrélée de l’indice “Live-ex” qui donne l’évolution des prix des grands crus échangés sur la place de marché éponyme ce qui était le symptôme d’un problème de valorisation. Le cadre réglementaire des fonds luxembourgeois était pourtant là pour protéger les investisseurs. Pour rappel, la valorisation des actifs d’un fonds est obligatoirement faite au prix de marché (mark to market) ou à un prix juste évalué par la société de gestion. La valorisation est également contrôlée par le dépositaire, l’administrateur et le commissaire aux comptes du fonds. En l’espèce, tout l’arsenal réglementaire disponible avant l’avalanche réglementaire aurait dû protéger les investisseurs de cette infortune.

En synthèse, nous pouvons constater que certains nouveaux textes réglementaires ont effectivement bien contribué à protéger, un peu plus encore, l’investisseur. Cependant, l’avalanche réglementaire n’a pas apporté de réponse à de nombreux scandales récents notamment en ce qui concerne l’investissement dans les biens réels. Pire, certaines nouvelles réglementations ont accru le risque de litige entre investisseur et distributeur/producteur en obligeant à remettre aux investisseurs des documents incompréhensibles voire trompeurs comme le DIC PRIIPS.

Les plus dirigistes se diront que nous n’avons pas encore assez de réglementation et qu’il est urgent de repartir dans un cycle d’hyper régulation pour anéantir définitivement le moindre risque de fraude. Malheureusement, la réglementation ne peut pas être l’Alpha et l’Omega de la protection de l’investisseur. Elle est nécessaire mais non suffisante.

Revenons un instant sur les biens réels. Aucune loi ne peut interdire la spéculation sur un bien comme une voiture de collection, une œuvre d’art ou une montre de collection et la régulation des vendeurs de ces biens n’y changera rien. Qui obligerait un garagiste, un galeriste ou un horloger à prendre un statut “CIF” pour exercer son activité au nom de la sacro-sainte protection des investisseurs ? Ce n’est pas raisonnable.

Au final, quelle est la cause racine du défaut de protection de l’investisseur ?

La genèse de tous les risques provient de l’asymétrie d’information et de connaissance de l’investisseur par rapport au distributeur/producteur du produit d’épargne. En effet, si chaque investisseur comprenait réellement le montage financier proposé, les variables qui vont influencer la performance de son investissement, la méthode de valorisation et les diverses typologies de risques sous-jacents, les arnaques et autres mauvais conseils ne pourraient plus se produire.

Entendons-nous bien, je ne suggère pas d’envoyer toute personne désireuse de faire un placement dans un master de finance de marché. Je pense simplement que la clé de la protection de l’investisseur réside dans la pédagogie, la prudence et la curiosité.

La maîtrise des fondamentaux de la finance personnelle devrait être acquise à l’école comme dans de nombreux pays occidentaux. Ce n’est pas le cas en France puisque l’idéologie de l’éducation nationale ne laisse aucune place au collège à la finance (sans visage) et au (vilain) capitalisme de marché. Un élève de 3e apprend donc les symboles de la république ou le rôle des médias dans l’opinion publique mais ignore ce qu’est une action, un crédit, le principe de capitalisation ou la gestion d’un budget. La pédagogie doit aussi venir des professionnels de l’épargne. De nombreuses initiatives ont été menées ces derniers temps, même le régulateur joue un rôle actif d’éducation de la population. Ces opérations de pédagogie sont un excellent moyen d’interagir avec les investisseurs ce qui devrait donner envie aux acteurs, soucieux d’accroître leur connaissance client, de multiplier les opérations.

Ensuite, le principe visant à investir uniquement dans ce que l’on comprend me semble être la base de la sécurité de l’investisseur. Si ce principe était appliqué à chaque fois, nous n’aurions pas eu de procès Madoff ou de procès sur les fonds à formule par exemple. Je m’applique cette règle ce qui fait que je ne cède pas aux sirènes des rendements élevés du Crowd Funding Immobilier. Comment peut-on offrir un rendement de 10% sur un programme de 18 mois quasi commercialisé, purgé de tout recours légal et construit par un promoteur de référence ? Je n’arrive pas à répondre à cette question donc je passe mon chemin.

Enfin, la curiosité intellectuelle est clé pour éviter les risques. Warren Buffet dit “Price is what you pay, Value is what your get”. Le prix est facile à connaitre puisqu’il est donné par le vendeur du produit d’investissement. Connaitre la valeur réelle de ce qu’on achète demande un effort car il faut faire ses devoirs, recouper des informations, se faire une opinion. Si les milliers d’épargnants floués de l’affaire Apollonia avaient simplement consulté un site d’annonces immobilières avant de signer, ils auraient vu qu’ils achetaient 2 à 3 fois plus cher que le prix de marché.

Pour finir, rappelons que le “free lunch” n’existe pas. Si vous pensez l’avoir trouvé, c’est surement vous le repas !

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