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11

Mar 2019

Transfert opérationnel
  • Articles et presse

Transfert d’un portefeuille d’assurance : une opération stratégique délicate à mener

Article rédigé par Emeric Piot – Senior Manager Périclès Luxembourg

Dans le monde des assurances, ces opérations sont courantes et anciennes. Il s’agit pour l’assureur de restructurer son portefeuille existant afin de répondre à des choix stratégiques divers. Mais quelle que soit la motivation, un transfert de portefeuille reste une opération complexe à mener. C’est d’ailleurs pour en faciliter la réalisation que le législateur et le commissariat aux assurances en ont prévu les principales modalités de réalisation. Il s’agit donc d’un processus bien normé.

Pas de transferts individuels à l’initiative du preneur d’assurance

Le sujet de la transférabilité des contrats d’assurance-vie fait l’objet de débats récurrents depuis de nombreuses années. En effet, si transférer ses avoirs bancaires est possible, tel n’est pas le cas d’un contrat d’assurance-vie. Récemment encore en France, dans le cadre des débats sur la loi « PACTE », certains députés de la majorité LREM ont déposé un amendement visant à permettre à un particulier de transférer son contrat d’assurance-vie d’une compagnie vers une autre. Ce projet fut très rapidement enterré par le ministre de l’économie car ouvrir la porte à cette possibilité remettrait en cause tout le modèle de l’assurance-vie. En effet, d’un point de vue technique un contrat d’assurance vie est une enveloppe nettement plus complexe qu’un simple compte bancaire (du fait de la mécanique du fonds garanti, des schémas de rémunération entre assureurs et distributeurs, …).

D’une manière générale, le régulateur a posé un cadre réglementaire équilibré qui permet à la fois : 1 – une mise en concurrence des assureurs, 2 – une protection des épargnants (récemment renforcée par la directive IDD) 3 – des dispositions pour protéger les assureurs en leur garantissant une certaine stabilité des actifs. Ce dernier point est un gage de la pérennité du modèle.

Ceci étant posé, il est à noter que contrairement au preneur d’assurance, la compagnie dispose de la faculté de transférer (ou plus exactement de vendre) un portefeuille de contrats à un autre assureur. Ceci, est bien entendu valable sous réserve d’acceptation préalable par l’autorité de tutelle.

Quelle motivation stratégique pour un transfert de portefeuille ?

A la différence d’une cession d’entreprise ou la personne morale constitue une entité économique autonome vendue dans sa globalité, un transfert de portefeuille va concerner un sous ensemble de l’activité de l’assureur, selon un périmètre bien défini. Il s’agit d’un portefeuille de contrats, c’est-à-dire un ensemble de polices disposants de caractéristiques objectives communes. Cela peut concerner par exemple des polices situées sur une même zone géographique, une typologie de polices spécifiques (contrats collectifs type retraite, un portefeuille présentant des engagements spécifiques, …), des polices liées à un modèle de distribution dédié (vente intermédiée / directe, partenaires bancaires / courtiers indépendants, …). Dans ces cas de figure, la cession du portefeuille permettra à l’assureur cédant de réallouer ses ressources sur son activité prioritaire, conformément à sa nouvelle stratégie. En effet, un assureur qui souhaite stopper son activité commerciale sur un marché spécifique va devoir mettre le portefeuille concerné en « run-off ». Dans ce cas, il va continuer à assumer son historique, c’est-à-dire conserver ses engagements. Cela suppose un investissement constant pour maintenir les outils, réaliser une veille réglementaire et mobiliser des compétences au détriment de l’activité prioritaire. Au choix stratégique initial s’impose donc assez rapidement une contrainte économique. S’il veut « sortir » du marché en question, 2 options s’offrent à l’assureur : un transfert de portefeuille ou une externalisation de type BPO. Néanmoins, dans le deuxième cas, bien que l’activité soit déléguée (à une plateforme ou à un autre assureur), la compagnie continue de porter les engagements et le BPO représente un coût. En revanche, pour l’option du transfert, les engagements sont cédés moyennant finance, ce qui représente un double avantage pour la compagnie cédante.

Du côté de la compagnie cessionnaire (le repreneur) la motivation stratégique sera liée à celle d’un une opération de croissance externe : obtenir une taille critique, une expertise et/ou un volume d’affaire sur un marché donné, accéder à un nouveau marché, à de nouveaux distributeurs, à un savoir-faire…

Si les raisons motivant ce transfert peuvent être diverses, en revanche le processus du transfert lui-même est soumis à une norme bien définie.

Un transfert de portefeuille est-plus complexe qu’une cession d’entreprise

Le transfert de portefeuille se définit comme une opération par laquelle un ensemble de contrats d’assurance est cédé par la société d’assurance cédante à une société d’assurance cessionnaire. La transmission ne porte pas sur un contrat mais sur un ensemble de contrats. Parce que cette opération intervient entre deux sociétés, il s’agit donc d’un transfert dit « conventionnel ». Si la cession d’une société entraine de facto la cession de l’ensemble des actifs, du passif et des accessoires (c’est-à-dire les contrats passés par la société avec des tiers), la « simple » cession d’un portefeuille, n’entraine que la transmission des actifs et passifs d’assurance (c’est-à-dire les engagements techniques et les actifs représentatifs de ces engagements). Comme il ne s’agit pas du transfert d’une universalité en tant que telle, les modalités et le périmètre du transfert doivent être précisés et décrits dans la convention de transfert. Cette dernière, qui prend la forme d’un contrat entre le cédant et le repreneur doit décrire précisément chaque élément des engagements et de l’actif transféré. Concrètement, cela signifie que les « accessoires » ne sont pas transmis, à moins d’une stipulation expresse. Cela vaut par exemple pour les traités de réassurance, les accords de distribution avec les intermédiaires et, d’une manière plus générale, les contrats dont peut disposer la compagnie cédante avec des tiers. Dans ce cas, le projet de transfert du portefeuille devra s’attacher à reformaliser certains accords contractuels avec l’ensemble des parties concernées (par exemple les accords de distribution avec des courtiers). Néanmoins, certaines exceptions subsistent, telles que les contrats de travail des salariés (à certaines conditions).

Du fait de ce cadre juridique et réglementaire, le transfert d’un portefeuille s’avère finalement plus complexe qu’une cession d’entreprise, du fait de l’absence d’universalité à transférer.

Due-diligence et cartographie des risques à transférer

Préalablement au transfert juridique, les entreprises cédantes et repreneuses vont devoir s’attacher à cartographier les risques inhérents à l’activité. Cette phase de due-diligence va nécessiter un screening complet du portefeuille : analyse de la documentation contractuelle, identification des engagements, cartographie de la géographie des risques, … Cette phase va permettre au repreneur de mesurer précisément les risques transférés avec le portefeuille et de définir, entre autre, la garantie de passif à exiger. Celle-ci, avec le prix du portefeuille, constituera un point crucial de la négociation.

Approbation par le commissariat aux assurances et opposabilité du transfert

Au Luxembourg, un transfert de portefeuille d’assurance doit recevoir l’approbation de l’autorité de tutelle. Le Commissariat aux Assurances s’appuie sur la loi du 7 décembre 2015 sur le secteur des assurances, pour, préalablement au transfert, s’assurer que la compagnie cessionnaire (le repreneur) apporte la preuve qu’elle dispose des fonds propres éligibles nécessaires pour couvrir le capital de solvabilité requis. Ensuite, le CAA n’autorisera le transfert qu’après avoir reçu l’accord des autorités des états dans lesquels les risques ou les engagements sont situés (un délai de 3 mois est laissé aux autorités de tutelles tiers pour s’opposer au transfert).

Il est à noter que, à compter de sa publication officielle à l’issue de son approbation par le CAA, le transfert est opposable aux preneurs d’assurance et aux assurés. Ces derniers ne peuvent donc pas le contester.

Le transfert opérationnel

Il convient ici de bien distinguer le transfert juridique du transfert opérationnel. Les deux transferts ne pouvant être que difficilement réalisés simultanément, la mise en place d’une convention pour gérer la période intermédiaire est donc généralement nécessaire. Elle prend la forme d’une convention de services qui intègre les modalités d’administration du portefeuille par le cédant pour le compte du repreneur et les engagements du cédant en termes d’assistance dans le projet de migration des polices d’un système de gestion vers un autre. Le transfert opérationnel consiste bien souvent en un projet de migration informatique (sauf à ce que le système d’information fasse partie des actifs transférés) et à une campagne d’information vis-à-vis des preneurs d’assurance.

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